Cette approche présente, quand on s'intéresse à l'IA sous l'angle du dialogue social technologique, un intérêt majeur : elle interroge le projet d'application ou de système IA non pas du point de vue de l'impact de la technologie sur l'organisation, mais du point de vue de la façon dont les différentes parties prenantes de l'organisation, qu'il s'agisse d'une entreprise ou d'une administration, déterminent, façonnent et maitrisent (ou pas !) les différentes étapes d'un projet d'application ou de système IA.
Un second choix structurant a été de considérer qu'il était primordial de donner à voir également différentes configurations d'arrivée des SIA dans l'organisation : l'IA peut arriver par les process métiers, elle peut arriver par les choix technologiques et les usages. L'interfaçage avec l'organisation du travail qui en découlera pourra être très différent selon ces situations. Le degré de maitrise de la gouvernance opérationnelle et technique des organisations qui le déploient sera aussi très variable.
Les schémas et situations de développement présentés ci-dessous visent à fournir des éléments que l'on espère le plus lisibles et compréhensibles possibles pour prendre la mesure du caractère itératif des projets d'application d'IA, des différentes étapes qui le constituent, des parties prenantes internes et externes à l'organisation qui y sont associés, des spécificités des briques technologiques mobilisées. La représentation des étapes s'est délibérément inspirée des pratiques DevOps , privilégiées dans de nombreux projets de SIA.
Trois situations de développement sont distinguées, selon le degré de maitrise plus ou moins important des différentes phases du projet d'application IA. Ces schémas doivent être compris comme des « idéaux types ». En particulier, il conviendra de remarquer que dans tous nos schémas, nous avons délibérément considéré que les acteurs du dialogue social étaient des parties prenantes et des acteurs à part entière du projet.
SITUATION 1 — « From Scratch » Conception et maîtrise de l'intégralité des phases
Dans ce cas de figure, l'entreprise ou l'administration conçoit, développe, produit, exploite et maintient l'application d'IA. Elle a la maitrise, en interne, de l'intégralité des phases. L’IA arrive par les choix stratégiques. La plus-value attendue de l’application et de l’IA est fonction de ce que peuvent apporter différents modèles et architectures d’IA. Toutes les phases sont maitrisées, mais l'entreprise ou l'administration peut choisir un ou des modules métiers à base d'IA extérieurs à l'organisation.
Exemples :
– L'entreprise déploie une nouvelle architecture d'application à base d'IA. Une banque prend les données de ses clients et souhaite produire une analyse des dépenses de ses clients via les données à sa disposition sur les flux financiers de ces derniers, pour dégager des profils de clientèle. Elle va utiliser un modèle d'IA (open source ou pas), prendre le code, se l'approprier. La solution bâtie est propre à l'organisation, l'entrainement se fait principalement à partir des données de l'entreprise.
– Un cabinet d'architecte met en place le jumeau numérique d'un bâtiment. Le modèle d'IA est destiné à permettre d'appréhender toutes les contraintes techniques du bâtiment, et à faciliter les adaptations et les travaux de maintenance. Le modèle d'IA est conçu et développé en interne, et entraîné sur les caractéristiques réelles du bâtiment.
– Une entreprise est soumise à des risques de cybersécurité importants. Elle va acheter ou fabriquer une IA qui va être en capacité de faire le contrôle.
Les questions que l'on peut se poser (voir également la partie 2 du livrable)
Quels choix stratégiques sont poursuivis par l'organisation : utilisation des données de l'entreprise comme richesse, aide à l'exécution de certaines tâches sur des métiers spécifiques ou données sensibles à l'entreprise, problématiques de cybersécurité, IA comme outil d'innovation. ?
Quelle stabilité du logiciel/ de l'application d'IA ? Quels critères de choix pour le modèle d'IA ? Qui dessine le modèle de données et de fonctionnement auquel on va se référer ? Comment reconnaître, identifier et partager la valeur permise et créée par les salariés de l’entreprise ?
SITUATION 2 — ACHAT SUR ÉTAGÈRE Un système d'IA est acheté à une entreprise tierce
Dans cette situation, l’entreprise ou l'administration adopte une ou des solutions à base d’IA en implantant un/des logiciels solution métier. Elle achète le système d’IA à une entreprise tierce. Dès le départ, le logiciel inclut un mode d’organisation qui lui est propre. L’IA arrive par les process métiers et va les impacter. Les risques sont forts que les marges de manœuvre de l'organisation soient réduites.
Exemples :
– Une entreprise va mettre en place un module de gestion des ventes standard. Ce module va intégrer de l’IA. Ce module est présenté uniquement comme un nouvel outil. Dans les faits, le logiciel va largement imposer ses méthodes de travail.
– Une entreprise met en place un nouveau mode de suivi des prospects. Le suivi du client était auparavant propriété du vendeur, notamment ses données. Une solution d'IA sur étagère est achetée. Cette solution va récupérer les fichiers clients standards de l'entreprise. La solution d'IA va proposer des modes de prospection. Le vendeur n’est plus propriétaire de ses données ni du processus de vente.
Les questions que l'on peut se poser (voir également la partie 2 du livrable)
Quels ont été les choix qui ont présidé à l’introduction de cette solution ?
Qui a été associé à la rédaction du cahier des charges ? A-t-on intégré les métiers à la réflexion puis à la mise en place ?
Quel impact sur l’organisation de l’équipe et du travail ? Comment l’IA réorganise-t-elle le travail et les process? Qui pilote le processus de travail ? Quels éléments du poste de travail sont pris en charge ?
Quel accompagnement de l’adaptation ?
SITUATION 3 — ADAPTATION D'UNE BOÎTE À OUTILS Achat d'une boîte à outils adaptée / calibrée aux spécificités des besoins de l'entreprise ou de l'administration
Dans cette situation, l’entreprise ou l’administration met à jour une solution métier existante par un module d'IA ou une nouvelle version enrichie d’IA. L'entreprise arbitre sur le niveau de mise à jour, c’est de l’usage que découle la vision globale. Une partie du développement et de l’entrainement sera réalisée en interne, pour calibrer l’outil aux besoins. C'est en quelque sorte une démarche de bricolage pérenne. On utilise une sous-famille de technologies que l'on va appliquer à un certain nombre de fonctions dans l’organisation. Une autre configuration possible est l'arrivée de l'IA par la mise à jour d'un logiciel métier existant, auquel le prestataire intègre de l'IA. L'IA arrive dans ce second cas par les process métiers, le degré de maîtrise est moindre.
Exemples
– L'entreprise dispose d'un système de gestion d'entreprise (comptabilité, RH, technique, etc.). Le fournisseur de cette solution propose une version sur le module qui gère la fonction RH intègrant de l'IA, pour mieux gérer la paie. L'entreprise le met en place en l'adaptant à ses caractéristiques.
Les questions que l'on peut se poser (voir également la partie 2 du livrable)
A-t-on besoin des nouveaux usages introduits par l'IA ? Quels sont les logiciels présents dans mon entreprise ? Qu’apporte l’IA en tant que telle ? Quels sont les éléments du poste et du process de travail que l’IA prend en charge ?
Comment se fait le travail d’adaptation aux spécificités de l'entreprise ? Qui a été associé à la rédaction du cahier des charges ? A-t-on intégré les métiers à la réflexion puis à la mise en place ? Qui pilote le process de travail ?
Qui décide du paramétrage (collégial ou technique, implication des professionnels du métier, etc.)? Quelles sont les informations collectées/traitées ? Ou peut on retrouver l'historique ? Qui a écrit les règles du modèle ? Où sont-elles conservées ? Quelle traçabilité ?